Un souvenir du clergé réfractaire à l’église de Saint-Cybard

L’église de Saint-Cybard n’est pas toujours ouverte. Elle est bien modeste pourtant, et ne recèle pas grand-chose qui puisse exciter la convoitise. Regroupée avec quelques maisons non loin au-dessus du Voultron, on y remarque cependant la présence d’une plaque commémorative, fixée au-dessus des fonds baptismaux. L’inscription intrigue:

Ici
a été baptisé le 13 Octobre 1744
Pierre Louis de LA ROCHEFOUCAULD
Dernier évêque de Saintes
Né au Vivier le 12 Octobre 1744
Martyrisé au Couvent des Carmes
à Paris le 2 Septembre 1792
Béatifié à Rome par le Souverain Pontife Pie XI
le 17 Octobre 1926

Eglise de Saint-Cybard
Plaque commémorative de l’église de Saint-Cybard

La modestie des lieux tranche avec l’importance que semble avoir eu le personnage. De fait, il ne faut pas beaucoup chercher pour découvrir la biographie de Pierre Louis de La Rochefoucauld, évêque de Saintes, ainsi que celle de son frère François-Joseph, lui-même évêque de Beauvais, dont les vies furent si tragiquement liées.

L’acte de baptême de Pierre-Louis nous enseigne qu’il est né de « Jean de Larochefoucault, chevalier, seigneur de Momont, Manzac, Barros, le Vivier et autres places, chevalier des ordres militaires de Notre-Dame du Mont-Carmel et Saint-Lazare de Jérusalem, et de dame Marguerite des Esco, mariés, demeurant en leur château du Vivié« . Ses parrains furent un couple de domestiques du château, et les témoins de simple vignerons ne sachant pas signer.

Le Vivier (Blanzaguet- Saint Cybard)

Le livre de L. Audiat, « Pierre Louis de la Rochefoucauld, dernier-évêque de Saintes et son frère, évêque de Beauvais » (1987) documente en détail la vie des deux frères.

Comme l’indique l’acte de baptême, Pierre-Louis n’était nullement issu d’une famille modeste, et ce n’est que l’usage symbolique des grandes familles qui le fit baptiser ainsi. Il était issu de la branche La Rochefoucauld-Bayers, fondée par René de la Rochefoucauld, seigneur de Bayers en Charente (1529).

Pierre-Louis de la Rochefoucauld

Après des études de théologie, celui qui fut initialement prieur de Notre-Dame-le-Haudoin, puis vicaire général de Beauvais, abbé de Sainte-Croix à Bordeaux, de Notre-Dame de Vauluisant du diocèse de Sens, fut désigné en 1775 comme agent général de la province de Rouen à l’Assemblée générale du clergé de France. Il devint secrétaire de cette assemblée, qui obtint pour lui finalement de Louis XVI l’évêché de Saintes en 1781.

En 1790, la constitution civile du clergé est adoptée. Le décret révolutionne le clergé séculier français. Il soumet les évêques à l’élection du peuple, et leur impose de prêter serment d’allégeance à la nation. Les dispositions sont vécues comme un schisme avec la papauté. Le pape Pie VI demandera au clergé de refuser de prêter serment, ou de se rétracter.

Serment imposé aux ecclésiastiques:

« Je jure de veiller avec soin sur les fidèles de la paroisse (ou du diocèse) qui m’est confiée, d’être fidèle à la Nation, à la Loi, au Roi et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale et acceptée par le Roi. »

Les deux frères, pour leur part, défendirent l’autorité spirituelle de l’Eglise. Ils refusèrent de prêter serment et encouragèrent le clergé à faire de même. On les déposséda de leur siège épiscopal, où ils furent remplacés par des membres du clergé dociles. C’est en août 1792, à Paris, alors que les révolutionnaires arrêtaient les nobles et les prêtres, que François-Joseph fut interpellé. Son frère exigea d’être emmené aussi, bien qu’il ne fut pas recherché. Réitérant leur refus de prêter serment, ils furent conduits à la prison des Carmes, avec 160 autres religieux.

Fin août, il fut su que les révolutionnaires destinaient les prêtres réfractaires à la mort. Un contexte de panique régnait en effet parmi les révolutionnaires, qui craignaient que l’invasion austro-prussienne et des complots royalistes ne conduisent à une restauration de l’ancien régime. Les massacreurs révolutionnaires – les « septembriseurs » – se rendirent dans les prisons de Paris du 2 au 6 septembre. Dans la prison des Carmes, ils tuèrent 116 des religieux qui s’y trouvaient.

Pierre-Louis eut une ultime chance d’échapper au massacre, grâce à l’aide de son domestique. Voyant que son frère ne pourrait l’accompagner dans sa fuite, il renonça pourtant à saisir sa chance. Le 2 septembre, refusant encore de prêter serment, François-Joseph fut tué par les révolutionnaires, et son frère avec lui. On jeta les dépouilles mutilées des deux hommes dans une fosse commune du cimetière de Vaugirard.

François-Joseph de la Rochefoucauld

Illustration de couverture: le massacre de septembre, à la prison des Carmes