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Le vin de Rossignol et des environs

LE VIN DE ROSSIGNOL ET DES ENVIRONS
HISTOIRE D’UN ANCIEN VIGNOBLE DU PERIGORD

Conférence donnée au GRHIN le 7 juin 2012 par Michel Vergnaud

Groupe de Recherches Historiques du Nontronnais (GRHIN) – Chroniques n° 28 (extrait)

Note: on trouvera les publications du GRHIN et son programme de conférences sous ce lien

Les invasions barbares ou grandes invasions commencent au IIIe siècle après Jésus-Christ,
quand les Francs, les Alamans, les Saxons, les Huns, les Goths, les Visigoths, les Vandales
rencontrent, envahissent, pillent et déstabilisent l’Empire romain.
Le 4 septembre 476, Romulus Augustule abdique. Il est le dernier empereur romain
d’Occident. Les anciennes provinces sont en plein déclin économique, en particulier l’agriculture.
Mais l’Église maintient dans ses diocèses, la culture de la vigne et la production de vin et
répand sa commercialisation. Le vignoble s’étend alors régulièrement, aidé en cela par l’extension des ordres monastiques. En effet la liturgie de la communion sous les deux espèces, pratiquée jusqu’au XIIIe siècle, est l’un des moteurs du maintien de la tradition viticole.
Le Moyen-Âge se fait le témoin des progrès de qualité du vin. Alors que les vins de l’Antiquité étaient coupés d’eau et agrémentés d’herbes et d’aromates, le vin tel que nous le consommons aujourd’hui apparaît au Moyen-Âge.
En 800, Charlemagne, premier empereur romain germanique, pourtant grand buveur de
cervoise devenue bière, prend des mesures pour améliorer la qualité du vin dans une ordonnance qui stipule : « Que nos intendants se chargent de nos vignes qui relèvent de leur ministère, et les fassent bien travailler, qu’ils mettent le vin dans une bonne vaisselle et qu’ils prennent toutes les précautions pour qu’il ne soit gâté d’aucune manière. »
Mais les véritables dépositaires de la qualité sont les moines qui perpétuent la tradition viticole. Les cathédrales et les églises étant propriétaires des vignobles, sous couvert de l’activité du « vin de messe », les moines gèrent de nombreux vignobles monastiques, contribuant ainsi à la création de vignobles de qualité existant encore aujourd’hui. C’est ainsi qu’en 937, la charte n° 218 du Cartulaire de l’Abbaye de Saint-Cybard près d’Angoulême (Archives départementales de la Charente – cote H. I. I.) mentionne la  présence de vignobles à Goûts. En effet, le moine Leutérius fait don à l’abbaye de Saint-Cybard d’un domaine lui appartenant situé au Mas, lieu-dit de cette commune.
« Ego, in Dei nomine, Leuterius quamvis indignus sacerdos, una pro Dei timore vel etema retributione cedo ad monasterium Sancti-Eparchii vel ad suis monachis ibidem De servientibus manso meo qui est in pago Petricorico in centena Berciacinse in villa que dicitur Guz cum terris, vineis, pratis, pascuis, adjacentis, aquis aquarumve decursibus, cultum et incultum quesitum et inexquesitum et quod ad inquirendum est, omnia et ex omnibus …. »
Soit, en traduction libre : « Moi, au nom de Dieu, Leutérius, quelconque prêtre sans mérite, dans la crainte de Dieu, donne au monastère de Saint-Cybard ou à ses moines, de même serviteurs de Dieu, un manse à moi, qui est en Périgord dans la centaine de Berciasinse dans la villa de Gous avec ses terres, vignobles, prés, pâturages attenants et les eaux qui les parcourent, parties cultivées et incultes … »
C’est, à notre connaissance, la première fois qu’un vignoble est cité en Périgord. Le Chanoine G. Tenant de la Tour écrit dans : L’homme et la terre de Charlemagne à Saint- Louis – page 490 : « Depuis la fin du IXe siècle de grands allodiers avaient légué à l’épiscopat de Limoges des vignes à Ribeireix, Juillac, Verteillac, etc. »
Le rôle des rentes et fiefs du seigneur de La Tourblanche établi en 1249 au moment du départ de ce seigneur pour la croisade de Saint-Louis en Égypte prouve que la culture de la vigne  était couramment pratiquée dans ses domaines à cette époque et en particulier dans les paroisses de Goûts et de Cherval. Le vin figure dans les redevances de presque tous les tenanciers. Citons parmi les plus proches de Goûts et de Rossignol : « A la Croiz (La Croix, paroisse de Goûts) deu om un sester de vi et una emina de civada a la mesura vielo » … « Del mas de la Melia (La Mille, paroisse de Cherval) deu om 3 s. a Nadal et 3 s. a la sent Joan un sester de vi et una charm de mosta e una galina » … « Del mas de la Folada (La Feuillade, paroisse de Cherval) deu om IX s. a Nadal e IX s. a la sent Joan de questa et 3 sesters de froment et 6 sester de vi … »
En 1529, Jean Bertaud, né à La Tourblanche le 18 juillet 1502, contemporain de Rabelais et auteur d’un des premiers ouvrages de défense religieuse contre les luthériens : Economium de cultutrium Mariarum , appose son ex-libris, le premier connu en Périgord et sans doute l’un des premiers en France, sur l’ouvrage de Nicolas Perotti, prélat et philologue italien : Cornuciopiea seu latinae linguae commentarii Paris 1529 qu’il vient d’acquérir.
Dans le haut de la vignette sont écrits les mots latins :

Johannes Bertaudus Petragorici
Turris albe alumnus, ducatus
Engolismensis, hujusce operis possessor.
Ad Lectorem distichon
Bacchica gymnate persolvam munera vitis,
Ad me si redeat perditus iste liber
Bon vouloir

 

Après avoir ainsi fait connaître son nom et le lieu de sa naissance, Jean Bertaud s’adresse à celui qui lui rendrait ce livre en cas de perte en lui promettant quelque bouteille de bon vin.
« Cadeau point banal pour ceux qui connaissent la renommée des anciens vignobles de Goûts, Rossignol et La Tourblanche », comme l’écrit A. Dujarric-Descombes dans son commentaire sur cet ex-libris publié dans le bulletin de la Société Historique et Archéologique du Périgord de 1900, pages 59-61. Jean Bertaud fait suivre cet avis de sa devise : Bon vouloir.
En novembre 1651, au moment de la Fronde qui a déchiré la France, Louis II de Bourbon-Condé, dit le Grand Condé, meneur de ladite Fronde prend Périgueux et les habitants se rangent à son parti. Odet Lelong, propriétaire de La Meyfrénie, conseiller du roi et magistrat au présidial de Périgueux passe par-devant notaire une protestation contre la rébellion de Périgueux.
« Au repaire noble de la Méfrenie, paroisse de Verteillac en Périgord, par devant moi notaire royal […] a été présenté et personnellement constitué monsieur maître Odet le Long conseiller du Roi, magistrat au siège présidial de Périgueux, par lequel a été dit qu’au commencement du mois de septembre dernier passé, il se serait retiré avec sa famille de la ville de Périgueux au dit présent lieu et repaire de la Méfrenie à cause des vacations dudit siège et saison des vendanges, là étant ledit sieur à présent sur le point de s’en retourner en ladite ville de Périgueux pour la fonction de son dit office de conseiller, il a été averti que le seigneur prince de Condé est entré en ladite ville de Périgueux, que la majeure partie des habitants d’icelle ont souscrit et se sont mis à son parti et que même il a laissé monsieur de Bourdeilles commandant qui s’est aussi uni audit parti et a pris charge de livrer des biens de guerre pour ledit seigneur prince de Condé et que tout ce que dessus chaque source et autorité, voit à cette cause ledit sieur le Long déclare en présence de moi dit notaire et les témoins qu’il n’entend approuver ladite cause et parti du dit seigneur prince de Condé, mais au contraire qu’il désire toujours demeurer absolument dans l’obéissance et cause du roi et qu’à raison de ce, il ne peut aller en ladite ville de Périgueux… »
A la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle les textes sont nombreux. Nous pouvons citer des actes de vente de 1701, des arpentages de 1707, des partages de 1713 et 1714, des baux ou arrentements de 1737 et 1765, relatifs aux vignes sur la paroisse de Goûts.
La relation du voyage de Lagrange-Chancel au printemps 1730 s’exprime ainsi : « De Fontaine, je passai à Goûts, paroisse et archiprêtré, entouré de vignes et de terres labourables.»

APOGEE DU VIGNOBLE

En 1776, le périgourdin Pierre de Belleyme (né en 1747 à Beauregard et Bassac) est chargé par l’Intendant de Guyenne, Charles Boutin, de dresser, pour le Roi, une carte détaillée de la province. La première planche est publiée en 1783.

Cette carte remarquable de précision nous montre, en particulier, les surfaces plantées en
vigne.
Le vignoble de Rossignol et des environs, qui progressivement a atteint une notoriété certaine, est spectaculairement représenté. Il s’étend de Fontaine au nord-ouest, La Chapelle- Montabourlet au nord-est, La Tourblanche à l’est, Verteillac au sud et Grézignac à l’ouest. En gros, il englobe les communes actuelles de Goûts-Rossignol, Champagne-et-Fontaine, La Chapelle- Grézignac, Cherval, La Chapelle-Montabourlet et Verteillac. L’extension de la vigne et l’accroissement de la production du vin se sont poursuivis pendant près de deux siècles apportant une aisance certaine dans l’ensemble de la région.
Cette expansion a eu deux causes principales, l’une naturelle, l’autre conjoncturelle. En effet, le milieu naturel a permis le développement du vignoble.
Michel Chadefond dans « Evolution des structures agricoles du canton de Verteillac » écrit :
« La plupart des altitudes se situent aux alentours de 150 mètres et la côte de calcaire ‘Campanien’ qui court du nord-ouest au sud-ouest de Champagne-et-Fontaine à Bourg-des-Maisons ne s’individualise guère au milieu de cette morphologie de collines plus ou moins douces. Cette côte domine un peu au nord les plaines de Goûts-Rossignol, dont le soubassement de calcaire ‘Coniacien’ a donné des sols rouges qui contrastent avec les terres grises ou blanches du ‘Campanien’.
Ces sols argilo-calcaires sur des calcaires assez durs du ‘Coniacien’ composés d’une fine couche d’argile rouge qui enrobe des éléments calcaires de formes et de dimensions variées. Ces sols sont en général très alcalins (Le pH atteignant ou dépassant 8).
Les flancs des collines du ‘Campanien’, de teinte grisâtre ou blanche, sont également très
alcalins. Les deux sortes de sols, faciles à travailler étaient et restent favorables à la culture de la vigne.
»
L’élément conjoncturel qui a permis le « boom » de la production de vin a été ce que l’on a
coutume de nommer « le petit âge glaciaire. ».
Pendant plus de 400 ans, du début du XVe siècle au milieu du XIXe siècle régna sur l’Europe et l’Amérique du Nord ce que l’on a baptisé « la petite période ou âge glaciaire. » Cette longue période fut marquée par un refroidissement important des hivers et par des étés courts. Les 25 ans qui vont de 1690 à la mort de Louis XIV (1715) constituent l’un des pics du froid, en particulier à Paris et dans toute l’Ile-de-France. L’hiver de 1709-1710 est resté dans les mémoires. Le vin a gelé jusque dans le verre du Roi ! Le froid a atteint – 25° dans la campagne autour de Paris. Cet hiver a entraîné la mort de 200 à 300 000 personnes par le froid et la faim.
Fort heureusement, l’influence atlantique qui se fait sentir en Périgord a permis d’éviter ces grands froids et la région a pu fournir Paris et l’Ile-de-France en céréales et en vin. Ce qui a grandement contribué à l’enrichissement des propriétaires terriens et leur a permis de construire ou de reconstruire ce que l’on a appelé les châteaux viticoles : Jaurias, La Vassaldie, La Meyfrénie, Clauzuroux, La Ligerie, la chartreuse du Sourbier ou de conforter l’aisance des prieurés de Fontaine et de la Commanderie des Chevaliers de Saint-Jean à Soulet.

Demeure des Aubin de Jaurias, le château de Jaurias, a été bâti en 1770 sur l’emplacement d’un édifice plus ancien par François-Denis Aubin de Jaurias, mousquetaire de la garde du Roi. Son père, Léonard Oubyn de Jaurias était décédé en 1763. Cette même année dans l’inventaire des biens meubles et immeubles fait à la suite de ce décès, il est noté que le chai contient 400 barriques de vin.
Jaurias était, déjà, le fleuron du vin de Rossignol. L’expansion du vignoble est freinée par la tourmente de la Révolution. Le propriétaire des lieux, François-Denis Aubin de Jaurias, premier maire de Goûts nommé en 1790, émigre en 1792, puis, amnistié, rentre à Jaurias en 1802. Il relance le vignoble mais décède un an après. C’est son fils Antoine Aubin de Jaurias qui, à 20 ans, reprend la propriété et va la transformer en un vignoble florissant.
L’étude détaillée de la matrice cadastrale de Goûts-Rossignol datant de 1833 montre que les vignes de la famille de Jaurias s’étendaient sur 102 hectares.
La vinification se faisait dans le cuvier situé dans les communs du château. Ce cuvier et le chai ont été conservés en état et ont été utilisés jusqu’en septembre 1989. Les très importantes et riches archives de Jaurias permettent, de façon unique, de connaître ce que pouvait être le commerce du vin de Rossignol entre 1805 et 1849, c’est-à-dire à la grande époque du vignoble de Rossignol.
En effet, Antoine de Jaurias, en « chef d’entreprise » sérieux et avisé, notait tout ce qui concernait la production de ses vins et leurs ventes. « Depuis l’année 1805 jusqu’à celle-ci 1808, j’ai vendu chaque année l’une portant l’autre pour 4000 fr. de vin sans y comprendre celui que j’ai converti en eau-de-vie qui en 1807 fut vendu 3400 fr. mais provenant de toutes les différentes années.
De 1805 à 1808 nous avons fait chaque année aussi à peu près 240 ou 250 barriques de vin, et l’ai vendu 180 et 190 fr. Le charroi conduit à Limoges, ce qui fait 95 fr. Le charroi tous frais déduits.
Le montant de tout ce vin m’a été payé ; reste seulement de par M. Malet négociant à Limoges dix pièces qu’il s’est engagé de me remettre ou de me payer 120 F la pièce. »

En 1813, 51 pièces (1 pièce = 300 litres) du vin de 1812 ont été vendues, essentiellement de vin rouge mais également quelques pièces de vin blanc.
En 1827, 15 clients ont acquis 42 pièces de vin de 1826 pour 5105 fr.
En 1828, 25 clients ont acquis 69 pièces de vin de la récolte 1827 pour 6690 fr.
C’est ainsi que l’on sait que les vins étaient vendus en Limousin et même jusque dans la Creuse par l’intermédiaire de négociants ou de courtiers installés à Limoges ou directement, dans la région, à une clientèle très variée : aubergistes, nobles familles de la région, notables : médecin, notaire, juge de paix, conseiller à la préfecture et même les curés de Champagnac, Dournazac ou Châlus. Une petite quantité était toutefois vendue à Ribérac.
Chaque charroi tiré par des boeufs transportait une pièce ou barrique de 300 litres. Les charrois partaient en convois de Mareuil-sur-Belle, passaient par Nontron et Châlus pour atteindre Limoges.
Les ventes vont peu à peu monter en puissance avec les aléas dus aux années plus ou moins bonnes et à la concurrence.
Comme de nos jours, la qualité n’était pas toujours excellente, certaines années laissaient à désirer. Ce qui entraînait quelques difficultés avec les clients. Les années 1836, 37, 40 et 42 furent particulièrement difficiles. Par contre, à la lecture des correspondances, on peut dire que, d’une façon générale, les clients étaient plus que satisfaits et donc fidèles. Si l’essentiel de la production était vendu en barriques, une petite partie l’était en bouteilles. En témoigne l’étiquette des premières bouteilles apparue au XIXe siècle.

Le problème du bouchage n’était, cependant, pas encore résolu.
En septembre 1844 le marquis de Rastignac, demeurant au château de Puyguilhem, écrit à Antoine de Jaurias : « Je pense que le temps s’est suffisamment refroidi pour mettre mon vin en bouteille. Comme on ne sait pas le faire en Périgord, j’enverrai un mulet chercher ma barrique.» La concurrence était sévère avec les autres viticulteurs du vignoble de Rossignol. C’est ainsi qu’en janvier 1836, le curé de Dournazac écrit à M. Antoine de Jaurias que :
« Bien que à 125 fr. le charroi soit cher, j’en commande un, la veuve Blaignac aubergiste en prendra un également ainsi que M. Desvoisins, mais il n’y aura pas d’autres commandes dans le bourg car M. Jauvinaud de Goûts et M. Pichon de Mareuil offrent un vin comparable au vôtre à 110 fr. la pièce. »
En conclusion il lui demande s’il consent les mêmes conditions !
En février 1845, nous trouvons un décompte intéressant pour un client de Limoges. Pour deux pièces de vin 209,40 fr. dont 138 pour le vin, 24 pour la conduite, 41,24 pour l’octroi, 6,16 pour le droit de mouvement.
L’octroi était une taxe, prélevée à l’entrée des villes, très impopulaire auprès des gens de la campagne, agriculteurs et des viticulteurs.
François, le fils aîné d’Antoine de Jaurias, ingénieur de l’Ecole Centrale des Arts et Manufactures de Paris, en même temps qu’une carrière réussie auprès de compagnies minières, prend peu à peu, à Jaurias, le relais de son père vieillissant. Il poursuit le développement du vignoble.
On retiendra dans sa correspondance qu’en septembre 1868, alors que son fils Antoine-Aubin intègre l’Ecole d’Agriculture de Grignon, il note que les vendanges sont très bonnes « nous ferons 300 barriques dont 100 proviennent de nos nouvelles acquisitions. »

En mai 1869, il se réjouit de voir les vignes superbes, sauf accident, il espère une aussi bonne récolte que celle de 1868.
En octobre 1869 il signale que son père s’occupe de couler le vin, lui-même se charge de la commercialisation. Il met en route l’alambic pour distiller le surplus de vin et fait 5 barriques d’eau-de-vie. Après la disparition de son père en avril 1870, il établit les plans d’un nouveau cuvier, d’un pressoir et d’un chai.
L’état de grâce va durer jusqu’à la crise du phylloxéra, signalée pour la première fois sur les
vignes de Jaurias en septembre 1875. François décède à 60 ans en juin 1876.
C’est son fils Antoine-Aubin, ingénieur agricole déjà cité, qui, à 25 ans, va avoir la lourde tâche de gérer le domaine. Après la tourmente phylloxérique, il replante de la vigne.
Les vendanges de 1885 sont bonnes, mais en juillet 1886 une tempête de grêle fait d’énormes dégâts, les vignes sont hachées. En octobre 1888, Antoine-Aubin espère « d’excellentes premières vendanges après le phylloxéra et malgré les grives. »
En octobre 1895, il est à Paris pour présenter son vin et « essayer de le vendre ».
En 1904, il participe au Concours départemental et obtient une mention honorable pour son vin blanc de vignes françaises ou greffées. Jaurias est le seul château viticole du vignoble de Rossignol à poursuivre sa vocation première jusqu’à la guerre de 1914-1918.
La mort au champ d’honneur de Pierre, le fils d’Antoine-Aubin, en septembre 1915, et le quasi-abandon des vignes pendant les quatre ans de conflit, faute de main-d’oeuvre, auront raison de l’activité principale du domaine.

LA VASSALDIE

Établie près de Montardy, la famille de Vassal, dont le chef portait le titre de baron, faisait
partie de la plus ancienne noblesse de notre région. Dès 1686 un permis de construire était demandé (cela existait déjà à l’époque !) pour la construction d’un château. Terminée en 1714, cette gentilhommière, dont le style se retrouve dans d’autres châteaux à l’entour (Clauzuroux et
Vendoire), est typique de cette glorieuse époque évoquée plus haut.
L’aile gauche était consacrée presque entièrement au cuvier et au chai. Il ne reste malheureusement aucune trace des équipements.
Dans la cour d’honneur de chaque côté du grand portail, deux grandes citernes servaient à laver et entretenir les barriques.
Les deux piliers du portail sont ornés, côté extérieur, de deux bas-reliefs datant de l’époque de la construction du château à la gloire de l’agriculture et de la viticulture. On remarquera, entre autres, la feuille de vigne ornant le haut des sculptures.

A son apogée le domaine comprenait 9 métairies réparties sur les 400 hectares de la propriété dont 40 hectares de vignes. Les métayers apportaient la récolte au château qui se chargeait de la vinification.
Dans son rapport de visite dans la région en 1864, Pascal Lusseau, écrit : « Dans le crû de Goûts-Rossignols, M. le baron de Vassal possède un enclos important, situé sur un plateau argilocalcaire et exposé en plein soleil. Les jeunes vignes sont plantées en lignes distantes de deux mètres environ et à un mètre dans le rang. Elles sont travaillées à la charrue. Les vieilles, disposées à un mètre vingt centimètres sur un mètre, sont travaillées à bras. Malheureusement les premières sont tenues beaucoup trop basses et les autres beaucoup trop hautes. J’ai fait observer à M. de Vassal et à son régisseur combien les plaies faites le long des souches sont nuisibles à la santé et par suite à la durée de celles-ci. N’importe le système qu’on adopte, il faut élever la tige à au moins à vingtcinq centimètres et au plus à quarante centimètres, et rester fixé à cette hauteur au moyen des rapprochements annuels.
Sur les vignes de huit ans on a récolté, en 1863, 20 hectolitres de vendange par journal de 40 ares ; en moyenne, on a obtenu dix barriques, soit 22 hectolitres à 23 hectolitres de vin à l’hectare. Les cépages sont la côte-rouge, un peu de pique-pouil, le petit-fer et la folle-blanche. Tout le vignoble est à moitié fruits. Le cuvier est bien organisé ; il y a une cave fort bonne, ce qui est rare. Les vaisseaux vinaires sont des foudres contenant six hectolitres et des barriques ordinaires. Les vins sont de qualité et s’expédient sur Limoges.
»

Ce rapport, remarquable de précision est un parfait résumé de ce qu’était l’ensemble du vignoble de Goûts-Rossignol. Le baron Louis de Vassal, précurseur dans le domaine vitivinicole, avait très intelligemment séparé la partie production de la partie commerciale. Cette dernière se faisait à Mareuil-sur-Belle, siège de la maison de commerce qui disposait d’un entrepôt d’où partaient les charrois chargés de fûts en direction de Limoges puis, parfois de la Creuse. Les convois, conduits par des bouviers lourdement armés, mettaient deux jours entiers pour atteindre Limoges, couchant dans une grange à l’étape intermédiaire de Châlus. Les brigands et les loups étaient encore nombreux sur nos routes au milieu du XIXe siècle. Il existe toujours une rue de Vassal à Mareuil-sur-Belle.
A la mort de Louis de Vassal en 1870, son gendre René Gabriel de Mondion prit sa succession. Mais très rapidement, la crise du phylloxéra s’ajoutant à une très mauvaise gestion du domaine entraîna sa faillite en 1902. En effet, le fils Jean René de Mondion, qui gérait alors la propriété, avait tendance à goûter un peu trop la production, plutôt qu’à l’élaborer. Le domaine, racheté avec difficulté par sa soeur Suzanne qui avait épousé le colonel Maurice Le Cacher de Bonneville, ne se releva pas au plan viticole et s’orienta peu à peu vers la culture des céréales.

GAILLARD

Situé sur la commune de Goûts-Rossignol, le domaine de Gaillard a appartenu depuis le XVIIe siècle, successivement aux de Pindray, aux du Plantier puis aux Dereix de la Plane. La demeure actuelle a été construite en 1850, pendant la période faste du vignoble de Rossignol.
La matrice cadastrale de la commune de Goûts-Rossignol indique que la propriété comptait 28 hectares de vignes en 1833. Malheureusement le cuvier et le chai ont disparu. Il en est de même des archives concernant la viticulture sur le domaine.

LA MEYFRENIE

Dès le XIIIe siècle on note à Verteillac la présence d’une famille Mayfré. Le repaire noble de La Meyfrenie date de la seconde moitié du XVe siècle. Au fil des siècles, il appartint successivement aux familles de la Meyfrenie, Lelong, de Massacré et Lafon.
En 1830, Jean-Antoine Pasquy-Ducluseau en hérite de son oncle. Médecin et député, c’est un pionnier de l’agriculture moderne et rationnelle. C’est lui qui, avec le marquis de Fayolle, crée les comices agricoles.
Il construit une ferme modèle où l’on pratique la viticulture, l’élevage, la culture des céréales, du chanvre et de la garance.

Portait de Jean Antoine Pasquy-Ducluseau
Archives Château de la Meyfrènie

La propriété compte une centaine d’hectares, dont 30 hectares de vignes. Jean-Antoine Pasquy-Ducluseau va innover en matière de viticulture. Il crée une taille spécifique

Pour mieux transporter son vin, il invente une « bonde hydraulique ». En plus du vin rouge et de l’alcool qu’il produit et commercialise, il met au point deux nouveautés dans le domaine viticole de notre vignoble, à savoir :

un vin mousseux qu’il dénomme le « Périgord mousseux ». Deux mille bouteilles partent à Paris en février 1843. En 1844, 8000 bouteilles seront produites. Lors du comice agricole de Montagrier en septembre 1847, six couplets de M. de Fourtou sont chantés « sur le vin mousseux du Périgord, fabriqué par M. Ducluzeau fils. »

un vin apéritif dénommé Gheropiga sur le modèle du célèbre vin portugais Jeropiga (équivalent du pineau charentais). Le mystère demeure en ce qui concerne l’arrivée de cette boisson de type lusitanien à la Mefreynie. Peut-être le souvenir d’un voyage de Jean-Antoine Pasquy-Ducluseau au Portugal ?
Il est un des premiers à utiliser des bouteilles qu’il fait venir de la région de Reims pour le mousseux. Il faut savoir que la bouteille n’est apparue qu’à la fin du XVIIe siècle et son usage ne s’est répandu que très lentement à cause de son prix élevé et du problème du bouchage longtemps non résolu.
En fait, très pris par ses engagements politiques, il est maire de Verteillac, mais surtout, député de la Dordogne de 1831 à 1837 puis de 1848 à sa mort en 1851, c’est son fils, Emile Ducluseau qui s’occupe avec plus ou moins de bonheur des activités du domaine. Il sera lui-même maire de Verteillac et conseiller général.
Les produits sont fort appréciés par les connaisseurs. La preuve en est donnée par l’écrivain Eugène Le Roy qui dans ses « Carnets de Notes d’une Excursion de Quinze Jours en Périgord » – 1899 – se souvient de son passage à La Meyfrénie en 1867. Il écrit : « A partir de Mareuil, l’aspect du pays change, les bois se font rares ; du terrain granitique du Nontronnais on passe au calcaire. Les coteaux sont arrondis, grisâtres et dénudés, sauf quelques vignes, des cultures et des chaumes.
Voici La Tour-Blanche, puis Verteillac. Tout joignant ce bourg, est le château de La Meffrenie, dans lequel est une chambre où coucha, dit-on, le prince de Condé, au temps de la guerre de la Fronde bordelaise. J’ai couché autrefois dans cette même chambre sans avoir une conscience bien nette de tant d’honneur, car j’étais un peu sous l’influence du vin capiteux de Géraud-Piga, cru du château, doux, mais traître en diable, auquel tous les nouveaux hôtes payaient tribut à la grande joie de l’excellent châtelain.
»

Bouteilles avec étiquettes de Gheropiga et de Mousseux du Périgord
Photo Archives Château de la Meyfrènie

A son tour, le Prince Napoléon Bonaparte, fils de Jérôme Bonaparte, frère de Napoléon Ier, remercie le 21 avril 1852 pour la petite caisse de liqueurs qui lui a été envoyée.

Lettre du Prince Napoléon Bonaparte. Archives départementales de la Dordogne

« Paris 21 avril 1852
Je suis bien sensible Monsieur à votre bon souvenir. Dans les temps ou nous vivons, l’estime de la mémoire et de quelques hommes honorables qui nous connaissaient voilà le premier bien !
Merci pour la petite caisse de liqueurs.
Recevez je vous prie Monsieur l’expression de tous mes sentiments distingués.
Signé Napoléon Bonaparte.
»
En 1886, à la mort d’Emile Ducluseau, c’est la famille de sa femme, les Pontard, qui hérite de la Meyfrénie. La production viticole a cessé avec les ravages du phylloxéra et ne sera plus reprise par la suite.

LA LIGERIE

Dominant le bourg de Fontaine, la Ligerie a été, à partir du XVe siècle, la demeure de la famille de Faucher. S’il ne reste plus aucune trace des installations de vinification, mais, on sait que la propriété possédait un vignoble important dès le XVIIe siècle.
Suite au décès, le 22 mars 1697, de Jean de Faucher, écuyer, seigneur de Lascaux, habitant la maison de la Ligerie, Maître Farges, notaire royal à Goûts, dresse, le 27 mars 1697, l’inventaire des « meubles et effets délaissés par le seigneur de Lacaux », en présence de la veuve et des enfants du défunt.

Cet inventaire, très détaillé, nous donne une image très exacte des conditions de vie à la fin du XVIIe siècle dans la région et de l’importance de la viticulture.
Après la demeure elle-même et les greniers, la visite se poursuit par la cave : « de la somme allés dans la cave de la maison dans laquelle avons trouvé une pierre à huile dans laquelle il y a vingt pintes d’huile, plus onze demi barriques dont il y a six pleine de vin, plus cinq pièces dont il y a 4 pleines de vin plus vingt et une barriques dont il y a 8 de pleines aussi de vin, et un entonnoir et de la, sommes allés dans le chai ou nous avons trouvé un pressoir de vin avec sa garniture plus deux cuves à faire le vin, plus huit barriques et deux pièces dont il y a 3 barriques de peu de valeur, plus un tire vin et partant du chai sommes allés dans l’écurie… » [orthographe d’origine respectée]
Une tradition bien ancrée dans la région veut que le vin de Rossignol ait été bu à la cour du Roi à Versailles et que Richelieu ait fait venir à Paris du vin de ce vignoble.

On ne connaît aucun texte permettant d’accréditer cette tradition orale. Une explication peut cependant être donnée. Elle n’engage que l’auteur de cet opuscule. En effet, Jean-Etienne de Faucher seigneur de la Ligerie, neveu de Jean de Faucher, précédemment cité, qui avait embrassé la carrière militaire, avait brillamment participé aux guerres de succession d’Espagne en servant sous les ordres du Maréchal duc de Richelieu (arrière petitneveu du grand cardinal), ministre de la Guerre de Louis XV. Il s’était lié d’amitié avec ce prince.
Blessé à Rocroi puis à Lawfeld en 1643 (actuellement Riemst dans la banlieue de Maastricht), Jean-Etienne de Faucher quitte le service du Roi en 1648, il entre alors dans la diplomatie. Il est successivement en poste à Turin puis chargé d’affaires auprès de la République de Gênes. En 1658, il suit Richelieu qui vient d’être nommé gouverneur de Guyenne. Il devient secrétaire général de son gouvernement et commissaire des guerres.
Le maréchal duc de Richelieu était connu pour son goût immodéré pour les femmes et la bonne chair. Il est dit qu’il se mit à apprécier les vins de Bordeaux et de sa région.
Il est donc fort probable que son ami Jean-Etienne lui ait fait goûter la production du domaine familial et donc le vin de Rossignol, et que, l’ayant apprécié, il s’en soit fait livrer quelques barriques à Versailles où il résidait plus souvent qu’à Bordeaux. De là viendrait cette belle et tenace légende.

CLAUZUROUX

Clauzuroux qui appartenait également aux Faucher de la Ligerie, n’était à l’origine qu’un relais de chasse. La prospérité venue de la vigne permit la construction de l’actuel château à la même époque que la Vassaldie. Il ne reste malheureusement aucun vestige du vignoble qui devait l’entourer. Le cuvier et le chai, situés dans les communs à droite de la cour d’honneur, ont été transformés en logement du régisseur après la crise du phylloxera et plus récemment en chambres d’hôtes.

LE SOURBIER

Sur la commune de Cherval, la chartreuse du Sourbier a été bâtie à la fin du XVIIe siècle par la famille Fondou, sieurs de Lafaye et du Sourbier. Le domaine possédait un vignoble cité dans la liste des châteaux viticoles par Michel Chadefond dans son ouvrage sur les structures agricoles du canton de Verteillac. Il n’y en plus trace de nos jours.
Tout près de là, Jean Bertaud, qui au XVIe siècle promettait, dans son ex-libris de boire du vin avec celui qui trouverait son livre, possédait un vignoble au lieu dit Pouzol qui figure en bonne place sur la carte de Pierre de Belleyme.

LE PRIEURE DES DAMES SAINTE-MARIE DE FONTAINE

Comme noté au début de cette étude, à la chute de l’empire romain d’Occident, l’Église prit le relais et fit en sorte que le vignoble français se maintint. Les moines et moniales prirent alors, une part importante dans le développement du vignoble.
C’est ainsi que le prieuré des Dames Sainte-Marie de Fontaine, dépendant de l’abbaye de Fontevrault et fondé en 1130, possédait un important vignoble. Au moment de la Révolution, lors de l’inventaire des biens de l’Eglise, ordonné par lettre patente du Roi Louis XVI du 18 novembre 1789, suite à un décret de l’Assemblée Nationale du 13 novembre 1789, le prieuré, grâce à ses diverses métairies et locations réparties sur les paroisses de Fontaine, Champagne, Argentine et Goûts disposait de 41 barriques de vin.
En novembre 1792, après la dissolution de l’ordre de Fontevrault et la dispersion des dernières moniales, un inventaire des biens mobiliers est fait de ce qui reste du prieuré par les membres de la nouvelle municipalité conduite par le maire récemment nommé par la Convention.
« Sicaire Rousseau et Pierre Badaillac anciens officiers municipaux qui nous ont fait ouverture du dit couvent et avons tous ensemble entré pour continuer nos opérations et nous ont conduit dans le cuvier où l’où l’on fait le vin, avons entré par un portail ferré et fermant à clef avec une serrure en bois ayant un fléau par derrière, y ayant trouvé six cuves, deux grandes et quatre petites avec un pressoir. Le tout nous a paru en bon état, plus nous avons trouvé dans le dit cuvier vingt fûts de barrique qu’on nous a dit être pleins de vin et appartenir à Pierre Grel et à l’instant s’est présenté ledit Grel à qui nous avons dit qu’il fallait qu’il ôte son vin et nous a répondu qu’il n’en voulait rien faire, plus ayant trouvé dans le dit cuvier six autres fûts de barriques des fonds par un bout, dans tous lesquels il y avait de la vendange sortant du pressoir qui nous ont dit appartenir aussi audit Grel, plus avons trouvé quatre paires de fonds de barriques. De là on nous a conduits dans la cave avons remarqué la porte de l’entrée qui ferme à deux battants soutenue par quatre gonds et quatre bandes la dite porte fermant à clef ayant une serrure en fer et un fléau par le derrière d’un battant et le fléau de l’autre nouvellement emporté ; ayant remarqué dans la dite cave une petite croisée supportée par deux bandes et deux gonds sans aucune serrure ; ayant remarqué dans y celle que nouvellement on avait enlevé les grillages de la dite croisée qui étaient en barres de fer ; plus avons remarqué une porte qui a sa sortie sur un petit jardin ferrée et soutenue par deux bandes et deux gonds y ayant un verrou par le derrière, ayant
trouvé dans la dite cave treize fûts de barriques et un petit quart dont nous avons observé qu’il y en avait qui n’appartenaient pas à la communauté et sur ce avons requis et interpellé le nommé Gérôme Bretonnet ancien tonnelier de la dite maison et Gabriel Duchenne ancien domestique pour vérifier les dits fûts de barriques, après l’examen qu’il nous a fait nous avons rapporté qu’il y en avait six qui n’avaient jamais appartenu à la communauté.
De là on nous a conduit dans un endroit appelé le chapitre où nous avons fait conduire les sept fûts de barriques et le petit quart que nous avions trouvé dans la cave et nous avons trouvé dans le dit chapitre trente six fûts de barriques lesquels dit Bretonnet et Duchenne nous ont dit reconnaître qu’ils appartenaient à la dite maison avec les sept fûts de la dite cave fait quarante deux fûts et un quart dans lesquels il y a vingt qui ne sont fermés que par un bout et avons requis les dits Bretonnet et Duchenne de signer leur présente vérification, lesquels nous ont déclarer ne savoir.
»
On constate à la lecture de ce procès verbal l’importance du cuvier et le fait que certains citoyens s’étaient déjà approprié les lieux !
Le prieuré des Hommes du Petit Bournet, proche du précédent, possédait aussi des vignes comme l’attestent un certain nombre de documents. On peut supposer, également, que la Commanderie des Templiers de Soulet devenue Commanderie des Chevaliers de Saint de Jérusalem après la dissolution de l’ordre par Philippele Bel possédait aussi un vignoble au sud du bourg de Goûts.

GOUTS

Dans le Bourg de Goûts, la famille Montardy-Peynaud-Vergnaud s’adonnait également à la viticulture. Environ 6 hectares de vigne étaient travaillés. Un important cuvier, comprenant deux grandes cuves et un pressoir, existait jusqu’au début des années 50.
La cave était importante et permettait d’entreposer le vin vendu ensuite jusqu’à Egletons dans la Creuse par l’intermédiaire d’un négociant installé à Limoges.

Le transport se faisait en barriques de 300 litres parfois en chêne mais le plus souvent en
châtaignier, plus léger et moins onéreux. Chaque propriétaire avait sa marque, G P pour Guillaume Peynaud, viticulteur à l’époque de la Révolution. Car les barriques, appelées également fûts ou pièces, étaient en quelque sorte consignées et étaient utilisées plusieurs fois.
Le travail de la vigne était surtout fait manuellement à la tranche : déchaussage, binage, bêchage mais également, en ce qui concerne le déchaussage, grâce à une charrue vigneronne tirée par un seul boeuf comme en témoignent les photos ci-après.

Les Bellabre de Chillac, demeurant également à Goûts, possédaient un vignoble sans doute non négligeable, malheureusement il n’existe aucune archive à ce sujet à la suite de la vente de la propriété en 1874 et de la dispersion des terres et des vignes du domaine au moment de l’invasion du phylloxéra.

Il y avait à Goûts trois foires importantes dans l’année, le 20 mai, le lundi qui suit le dimanche après le 15 août et le 28 octobre. Ces foires permettaient des échanges entre le Périgord, l’Angoumois et le Limousin, les environs de Goûts et le Nontronnais étaient complémentaires. Les échanges portaient surtout sur les vins et eaux-de-vie d’une part, sur le bétail, châtaignes, futailles, paniers, d’autre part. Celle du 28 octobre était l’occasion d’apprécier les « boursades »: marrons et vin nouveau. Quand nos voisins du Limousin avaient copieusement goûté les produits du cru, il n’était pas rare, paraît-il, de les entendre dire avec conviction : « Nous en planterons des vignes ! » Mais les cépages de cette époque ne pouvaient s’acclimater sur le sol granitique de leur province.

Ce tour d’horizon, non exhaustif, des principaux producteurs du vignoble de Rossignol et des environs nous donne une idée de son importance. Depuis le Moyen-Âge, pour empêcher les vols de vendanges, les dégâts par les animaux domestiques, le gibier et aussi pour garantir la qualité des vins de l’endroit qui devaient être obtenus avec des raisins très mûrs, certains vignerons ayant tendance à vendanger prématurément, les seigneurs et moines propriétaires de vignes avaient décidé d’instaurer un ban (interdiction) dont la seule levée donnait le coup d’envoi des vendanges. La date était fixée chaque année en fonction des conditions climatiques entre l’intendant du propriétaire et les fermiers et les métayers. La date du commencement des vendanges n’était donc pas laissée à l’initiative individuelle.
Ce système typique de l’Ancien Régime a toutefois perduré à la Révolution. Le décret du 28 septembre 1791 précise : « Chaque propriétaire sera libre de fixer sa récolte de quelque nature qu’elle soit, avec tout instrument et au moment qui lui conviendra, pourvu qu’il ne cause aucun dommage aux propriétaires voisins. Cependant, dans les pays où le ban de vendange est en usage, il pourra être fait à cet égard un règlement chaque année par le conseil général de la commune, mais seulement pour les vignes non closes. »
En témoigne la délibération du conseil municipal de Goûts du 25 septembre 1792 : « Les
officiers municipaux et le conseil général de la commune assemblés sur la réquisition du procureur syndic à l’effet de fixer le ban des vendanges de la présente année d’après l’avis et la connaissance des membres composant ladite assemblée. Lesdites vendanges ont été fixées au 2 du mois d’octobre prochain. En conséquence, il est défendu à quiconque de vendanger avant ce jour les vignes non closes à moins de raisons très fortes et pressantes qui doivent être jugées telles par la municipalité et son conseil et sur ce qui a été assuré à ladite assemblée dont elle s’est convaincue que les nommés Michel Laprade et Pierre Brenier, métayers du nommé Pinard avaient déjà l’un et l’autre vendangé et apporté leur vendange chez eux ce qui est dans le cas de préjudicier à leur voisin. Nous maire et officiers municipaux avons condamné lesdits Laprade et Brenier à chacun trois journées de travail, en conséquence nous ordonnons que l’extrait de la présente délibération leur soit signifiée pour y être contraints par toutes voies justes et raisonnables et avons signé ceux qui savaient signer et non les autres pour ne savoir, de ce enquis.
»
Signé: Bellabre de Chillac maire, Trijasse officier, Goursaud, Rougier procureur.

Deux personnes qui avaient enfreint à cette réglementation ont été pénalisées. Le ban des vendanges existe toujours et donne lieu à de nombreuses festivités. En 1825, les premières matrices cadastrales montrent que le Verteillacois était un pays de vignes, avec une zone où le vignoble (c’est-à-dire les champs de vigne en rangs serrés) occupe de 15 à 30 % de la superficie totale de la commune. Là le vignoble l’emporte nettement sur les jouelles (ou joualles). Il couvrait les communes de Goûts-Rossignol, Champagne-Fontaine, Cherval, Verteillac, La Tour-Blanche, Cercles et La Chapelle-Montabourlet. Pour la culture en jouelles, la vigne est dressée sur un support en bois ressemblant à un joug. Elle est cultivée en hauteur, ce qui permet d’utiliser le sol pour une autre culture.

Ce tableau se passe de commentaire quant à l’importance du vignoble de Goûts-Rossignol.
En 1834, un préfet entreprenant, Auguste Romieu, récemment installé à Périgueux par la Monarchie de Juillet, prend l’initiative de mettre en chantier une vaste enquête statistique sur son département, afin de faire un état des lieux.
Il confie cette énorme tâche à Cyprien Prosper Brard, ingénieur des mines, directeur de la Compagnie des Houilles du Lardin. S’inspirant largement des statistiques des préfets de l’époque napoléonienne, il établit un vaste questionnaire d’enquête, riche de 127 questions, qu’il adresse aux 582 maires du département de la Dordogne. Le questionnaire porte principalement sur l’agriculture et 17 questions concernent la viticulture et le vin.
Décédé en 1838, Cyprien Brard n’eut pas le temps d’achever sa tâche.
Toutefois, un certain nombre de maires répondirent assez rapidement au questionnaire dont ceux de Goûts, Cherval, Verteillac, Champagne-Fontaine et La Tour-Blanche.
L’intégralité du questionnaire et des réponses pour Goûts-Rossignol reproduits ci-après donnent l’image exacte du vignoble à son apogée.

  • Cultive-t-on la vigne dans la commune ? Quelle proportion du sol est employée au vignoble ?
    « Oui – Un peu plus des trois dixièmes de la commune sont plantés en vigne. »
  • Quels sont les modes de plantations et de provinage ?
    « Le mode de plantation est par bouture. »
  • Combien donne-t-on de façons ? A quelle époque les donne-t-on ? Est-ce à la main ou à la charrue ?
    « On donne trois façons excepté la taille, au mois de février on les déchausse, on les bêche au mois d’avril et au mois de juin on les bine. »
  • Quelle espèce de raisin cultive-t-on ? Pour la qualité ?
    « Le Fou (blanc), le St Rabier, la Douce noire (noir), la Douce blanche (blanc), le Coulombier, le Balazac. »
  • Pour la quantité ?
    « idem »
  • Y a-t-il des crus renommés ? En rouge ?
    « La commune est en grande renommée pour ses vins. Jaurias, Gratechat et Rossignol sont des crus renommés pour le vin rouge, en général la commune étant toute sur la même nature de sol ses vins sont tous à peu près de même qualité. »
  • En blanc ?
    «On fait peu de vin blanc. Leur prix moyen sur dix ans est de 72 fr. les six hectolitres. »
  • Cultive-t-on en vignes basses ou autrement ? Fait-on usage des échalas ou des carrassonnes ?
    « On ne cultive qu’en vigne basse. »
  • Quel est le prix moyen de la vigne et combien rend-elle, année commune, sur dix ans ?
    « La vigne se vend de 150 à 160 fr. le journal, étant plantée sur les terrains les plus médiocres, elle ne se vend ce prix que lorsqu’elle est dans sa force que par rapport aux frais de plantage et ensuite, pour dédommager des huit à dix ans premières années de non-production et de son peu de durée une fois qu’elle est venue. Le journal année commune sur dix ans donne trois hectolitres de vin. »
  • A combien peut-on estimer par an la dépense d’une mesure de vigne, façons et vendanges tout compris ?
    « de 10 fr. à 12 fr. par journal. »
  • Fait-on de l’eau-de-vie dans la commune et combien le vin rend-il d’eau-de-vie ?
    « On en fait très peu, le vin donne un septième d’eau-de-vie. »
  • En quelle circonstance doit-on brûler, et dans quel cas ne doit-on pas brûler ?
    « On doit brûler lorsque le vin est de mauvaise qualité, ce qui n’arrive que dans les années de peu d’abondance ou qu’on ne peut le vendre, mais hors ces cas on a plus d’intérêt en vendant le vin. »
  • Quel est l’état de cette branche d’industrie agricole, et quel est son débouché ordinaire ?
    « On ne considère point dans la commune comme une industrie de faire de l’eau-de-vie, car il y a beaucoup plus d’intérêt à vendre le vin qu’a le brûler. Si on le fait c’est lorsqu’on ne peut pas faire différemment ; ce qui arrive fort rarement. Le débouché pour l’eau-de-vie est le département de la Charente. Elle est vendue pour de l’eau-de-vie de Cognac. »
  • La commune a-t-elle assez de bras pour la culture ? Des étrangers viennent-ils aider aux vendanges et aux récoltes ? D’où viennent-ils et combien gagnent-ils ?
    « La commune n’a pas besoin d’étrangers ni pour la taille ni pour les récoltes. »
  • Quelle est l’opinion des vignerons sur l’époque de la taille, par rapport à l’âge de la lune ?
    « L’opinion du vigneron sous ce rapport est que la vigne taillée en nouvelle lune pousse plus vigoureusement que lorsqu’elle est en déclin. »
  • Combien de temps laisse-t-on cuver ?
    « De 15 à 20 jours. »
  • Fait-on du vinaigre assez pour en exporter ?
    « Oui mais il s’en trouve rarement le débit. »
  • Que fait-on du marc quand on en a tiré du vinaigre ou de la piquette ?
    « On en fait du terreau. Ordinairement le marc d’où l’on a tiré le vin est conservé dans l’eau pour faire manger aux boeufs. »
  • Le nombre de paysans propriétaires est-il considérable ? A-t-il augmenté depuis trente ans ?
    « Il est au moins de la moitié de la population. Le nombre n’a pas augmenté de beaucoup depuis 30 ans mais ils ont augmenté de fortune. »

Le Maire de la Commune de Goûts-Rossignol signé : Lacaton

En 1864, le docteur Guyot, spécialiste national en viticulture, envoyé par le ministre de l’agriculture de l’époque, fait un compte-rendu de son « Voyage viticole en Périgord » au directeur du Journal d’Agriculture Pratique.
Ce rapport livre de très intéressants détails sur la culture de la vigne et la vinification dans la région à cette époque.
« Parti de Paris le 10 mai par l’express du soir, j’arrive à Thiviers à sept heures du matin ; M.Vignaud, maire de Nontron, me conduit en deux heures à sa villa à travers des campagnes les plus plantureuses et les vignes déjà couvertes de jeunes pampres vigoureux ; le sol argilo-calcaire, riche, amoureux et profond est des plus favorable à la vigne, qui s’offre en lignes régulières à 1 mètre et 1 mètre 33 au carré…. ; on plante la vigne sur simple culture, à bouture, à 0m36cm, à la cheville ou à la pioche, droite dans le premier cas, coudée sous le sol dans le second avec trois ou quatre yeux au-dessus du sol ; on rabat sur un sarment pendant quatre à six ans, à cinq ans en moyenne on donne un second bras, puis plus tard un troisième : la vigne n’est en rapport qu’à la sixième ou la septième année. Sa moyenne de production est de 15 hectolitres à l’hectare ; on donne deux cultures, l’une après la taille d’hiver en billon ou en darbon ; l’autre fin de mai, est l’étalage du billon ou du darbon par un binage ; c’est le déchaussage et le rechaussage des souches plus ou moins accentués suivant les localités ; on ne pratique le provignage ou le marcottage que pour le remplacement des souches. Le Saint Rabier (cot vert), la Douce-Noire (cot rouge) et le Balzac sont les principaux ceps rouges ; le Fer, la Folle-Noire (Gamay), le Malmur (Pulsart), le Bouilland sont en moindre quantité. Les blancs principaux sont la Folle-Blanche, le Chevrier-Blanc (Colombard, Sémillon), la Douce-Blanche (Sauvignon).
La vendange se fait en paniers versés en balis, vidés eux-même en barriques où l’on foule. Quand les barriques sont assez nombreuses, on emplit la cuve, qu’on ne tire guère qu’après douze ou vingt jours de cuvaison : la règle est que le vin soit clair et froid pour être tiré. La plupart des vignes sont faites à moitié fruits par des métayers ou colons ; le partage se fait en raisin à la barrique. Les fruits dans le pays sont excellents, et les vignes, quand leurs cépages d’origine sont fins et qu’ils sont bien faits, sont des vins de qualité alimentaire très bonne. Ce que je viens d’exposer à grands traits donne une idée générale et sommaire de la viticulture et de la vinification des arrondissements de Nontron et de Ribérac.
»

Le docteur Guyot, en poursuivant son périple, écrit « en nous rendant à Verteillac, nous avons jeté un coup d’oeil sur les vastes vignobles de Goûts-Rossignol, donnant de bons vins alimentaires, presque tous labourés à la charrue et parfaitement tenus, mais tous aussi à la taille restreinte et courte, et ne donnant que 20 hectolitres au plus en moyenne par hectare. De Cherval à Verteillac, les terres prennent l’aspect de la fine Champagne ; aussi les vignes y donnent-elles des eaux-de-vie fort estimées. »
L’église romane de Goûts étant en très mauvais état, sa reconstruction fut décidée au début de la seconde moitié du XIXe siècle. Celle du clocher de l’église eut lieu entre 1860 et 1863. A l’époque, l’architecte Vauthier avait souhaité que les seules sculptures visibles sur la façade, donnant sur la place du bourg, soient en l’honneur de la principale richesse de la commune, à savoir la viticulture. En effet, les deux corbeaux représentent deux figures grimaçantes tenant l’une un tonnelet, l’autre une grappe de raisin.
C’est là, un des derniers témoignages de l’époque faste du vignoble.

En 1876, dans le récit de ses Voyages Agricoles en Périgord et dans les pays voisins – de Périgueux à Mareuil par la Tourblanche, M. L. de Lamothe écrit : « Venant de La Tourblanche, la plaine haute à laquelle on arrive après Montabourlet s’étend au loin, ridée, verdoyante et uniforme quant aux cultures. On y voit quelques beaux blés, des sainfoins de belle venue, mais la vigne remplit presque tout le tableau. L’on y sent le voisinage de Goûts-Rossignol, un des grands crus du département, dont les vins généreux s’entreposent à La Tourblanche, à Verteillac et dans d’autres localités peu distantes, pour de là se répandre dans le sud-est du Périgord et dans le Limousin. Les vignes paraissent travaillées avec soin, avec amour même, pour la plupart. Peut-être, pourtant une taille mieux conduite, des cépages mieux choisis ne seraient pas de trop dans ces parages. La terre convient bien d’ailleurs à cette branche de l’agriculture. Elle est calcaire, peu profonde et néanmoins assez riche pour l’arbrisseau de Noé, qui s’y trouve de la sorte parfaitement à sa place. »
Ce témoignage élogieux concernant le vignoble de Goûts-Rossignol semble prouver qu’en 1876, la catastrophe du phylloxéra n’avait pas encore atteint la région, bien que les premiers signes du fléau aient été constatés à Jaurias en 1875. En 1880, le vignoble verteillacois avait complètement disparu. La chute a donc été soudaine et terrible.

DECLIN DU VIGNOBLE

Le développement du vignoble pendant cette première moitié du XIXe siècle avait été spectaculaire. L’avenir semblait radieux en ce milieu de siècle.
Après le coup d’État du 2 décembre 1852, lorsque Louis-Napoléon Bonaparte, le Président de la République française, devient Napoléon III, empereur des Français, le second Empire coïncide avec une ère de prospérité pour la France en général dont vont bénéficier toutes les régions. Ce mieux économique va être favorable à la consommation de vin par toutes les couche sociales, particulièrement chez les paysans. En conséquence, le marché du vin de Rossignol va encore s’élargir.
Cependant, au même moment, un péril s’annonçait venant d’outre-atlantique, celui des maladies cryptogamiques. C’est 1853 que les Annales Agricoles et Littéraires de la Dordogne publient, pour la première fois, un long article sur ce que l’on appelle tout d’abord la maladie de la vigne, puis « l’oïdium tuckery » ou champignon. C’est à Margate, près de Canturbery en Angleterre, que M. Tucker, jardinier, signale que les feuilles, les jeunes pousses et les grappes d’une treille sont « comme enfarinées ». En fait la végétation est suspendue, la rafle se dessèche et noircit.
La maladie traverse la Manche et, en 1849, la région parisienne est touchée.
En 1852, le Médoc est atteint. La maladie se répand très rapidement. En 1859 la majeure partie du vignoble de la Gironde est ravagée. En 1860 le vignoble de Rossignol est à son tour touché. La maladie va faire des ravages jusqu’en 1863.
Fort heureusement, dès 1854, les chercheurs et les vignerons avaient constaté l’effet bénéfique du traitement de la vigne par le soufre. La maladie va ainsi être combattue assez vite et de façon radicale.
En même temps une autre maladie était apparue d’abord dans la Gard en 1863, mais personne ne s’était inquiété de voir dépérir quelques ceps de vigne.
En 1865, un second foyer apparaît puis, en 1866, c’est le vignoble bordelais qui est atteint.
En 1868, le puceron dévastateur est identifié. Il a été introduit par des viticulteurs qui tentaient des expériences avec des plants américains au début des années 1860.
Le phylloxéra est un minuscule insecte, puceron jaunâtre. Les mâles et les femelles s’accouplent à la fin de l’été. La femelle pond sur les souches un oeuf qui éclot au printemps
donnant naissance à un puceron (phylloxéra aptère – sans aile) qui descend sur les racines de la
vigne. Muni d’un suçoir qu’il enfonce dans la racine, il en absorbe la sève. Subissant trois mues en vingt jours il va, devenant adulte, pondre entre 40 et 100 oeufs. Ce cycle de vingt jours se reproduit à plusieurs reprises, donnant en tout cinq à six générations. En été, toutes ces femelles subissent une mue de plus et se transforment en nymphes qui deviendront des phylloxéras ailés, qui pondent à nouveau sur les bourgeons et les feuilles de vigne leurs oeufs donnant cette fois naissance à des mâles et des femelles. Ces derniers ne vivent que quelques jours, le temps de s’accoupler et de produire l’oeuf d’hiver évoqué plus haut. L’infestation d’un cep de vigne par le phylloxéra entraîne sa mort en trois ans.
Le désastre est total dans le vignoble bordelais à partir de 1869.
Si l’on en croit le récit de voyage de M. F. de Lamothe en 1876, le vignoble de Rossignol n’était pas encore atteint. Cependant la maladie avait déjà été signalée à Jaurias en 1875 et s’est répandue en peu de temps.
Pendant toutes ces années, devant l’ampleur du désastre national, tous les moyens sont mis en oeuvre pour combattre le fléau. Dès 1870, le Ministère de l’Agriculture crée un prix de 20.000 francs en faveur de l’auteur d’un procédé efficace contre la maladie. Plus de 700 remèdes seront proposés.

En définitif, le salut viendra du pays d’où venait le mal. Les cépages américains à racines résistantes seront employés soit comme producteurs directs soit comme porte-greffes pour reconstituer les vignobles détruits. Les malheurs ne s’étaient pas encore complètement dissipés, qu’en 1878, apportée par les nouveaux plants américains, une autre maladie allait se répandre sur le vignoble en cours de reconstitution : le mildiou !
La maladie se manifeste par des taches brunes et ou une apparence de moisissures blanches et cotonneuses suivies d’un flétrissement de la feuille, d’un rameau et de toute la plante.
Fort heureusement, assez rapidement, on s’aperçut de l’intérêt de traiter avec des solutions à base de cuivre. Le chimiste bordelais Ulysse Gayon et le botaniste Alexis Millardet inventent un pesticide fabriqué par neutralisation d’une solution de sulfate de cuivre par de la chaux éteinte.
C’est la fameuse « bouillie bordelaise » expérimentée début 1880 sur les vignes du Château Douzac et du château Ducru Beaucaillou en Bordelais.
Cette succession de catastrophes entraîna le quasi-anéantissement du vignoble français. En 1881, au Congrès de Bordeaux, dans son discours d’ouverture le président note : « qu’avant l’invasion du terrible fléau, la France possédait 2.200.000 hectares de vignes. Aujourd’hui, 500.000 hectares sont détruits et 600.000 gravement atteints. »
Le vignoble de Goûts-Rossignol fut quasiment détruit à partir de 1875.
Un nouveau coup fatal fut donné par l’arrivée du chemin de fer (la ligne Angoulême –Ribérac – Marmande fut inaugurée en 1894) qui permit l’acheminement rapide et à un coût peu élevé des vins du Midi de la France.
Malgré cette série de catastrophes, le vin de Rossignol gardait tout son prestige à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle.
Dans son roman « Le Moulin du Frau », paru en feuilleton dans «l’Avenir de la Dordogne » du 2avril au 21 août 1891, Eugène Le Roy qui, nous l’avons vu, avait apprécié les produits du château de la Meyfrénie, n’a pas oublié le vin de Rossignol. En effet, lorsque Nogaret invite le petit Girou, clerc de notaire, pour fêter le gain d’un procès contre M. Lacaud, le maire, après avoir goûté la terrine de foie gras aux truffes et le plat de champignons en sauce voici la suite du récit : « Nous avions bu du vin du pays du meilleur et avec ça deux bouteilles de vin vieux, quand vers la fin du déjeuner Girou me dit : J’ai ouï parler du vin de Rossignol, il paraît que c’est quelque chose de fameux. Il y a longtemps que j’ai envie d’en tâter, vous devriez ben en faire porter une bouteille. Ca va dit l’oncle, mais fais attention que ce vin tape sur la cocarde. »
En fait, une petite partie du vignoble fut replantée en utilisant les porte-greffes américains,
en particulier au Château de Jaurias, qui reprit sa production de vin comme le prouve l’étiquette cidessous portant le millésime 19…

Preuve également, la photo des vendanges à Jaurias en 1905, que l’on trouve en première
page de cet article. A l’occasion de la première Félibrée qui s’est tenue à Mareuil-sur-Belle, le 20 septembre 1903, c’est le vin vieux de Rossignol qui est servi lors du banquet traditionnel (la taulado) comme le montre le menu « joliment dessiné par maître Daniel » et « qui fait honneur à l’hôtelier Jarretout. » Dans son allocution, au cours du banquet, M. Dujarric-Descombes remercie chaleureusement M. de Jaurias : « qui a gracieusement offert quelques bouteilles de vieux vin de Rossignol. »

Le guide Féret « Bergerac et ses vins et les principaux crus de la Dordogne », édité en 1903,
indique pour le canton de Verteillac :
« GOUTS-ROSSIGNOL- 709 habitants- 2491 hectares ; à 10 k. au nord de Verteillac. Sol généralement argilo-calcaire, offre en sous-sol le calcaire jurassique supérieur stratifié ou sur quelques points le calcaire crétacé inférieur. Vins rouges sont produits par deux tiers cabernet-sauvignon, un tiers malbec, castets ; ils sont colorés et corsés ; ils atteignent 12° dans les bonnes années ; ils sont fins et bouquetés et peuvent être classés parmi les meilleurs de la Dordogne. Les vins de cette commune, connus sous le nom de Rossignols, jouissent depuis des siècles d’une grande réputation dans la Haute Vienne et dans la Creuse. Cette commune avait au XVIIe et au XVIIIe siècles un commerce de vins très actif avec Limoges et a continué jusqu’au jour où l’invasion phylloxérique a détruit tous ses vignobles plantés sur le calcaire jurassique supérieur ou sur le calcaire crétacé inférieur. Aujourd’hui la reconstitution marche doucement, mais dans de bonnes conditions, telles que cette antique réputation ne se perdra pas. Ces vins se vendent en primeur de 200 à 300 francs le tonneau nu. Vins Blancs peu importants.

C’est Antoine-Aubin de Jaurias qui a rédigé la notice à la demande de l’éditeur. On remarque que les cépages autochtones ont disparu au profit de ceux qui font la renommée actuelle des vins d’Aquitaine. Le tableau ci-dessous donne les supe.rficies plantées en vigne dans le canton de Verteillac en 1913. (entre parenthèses le rappel des superficies en 1825)

Evolution des structures agricoles du Canton de Verteillac – Michel Chadedond 1965

La fin tragique de la monoculture de la vigne entraîna la ruine de nombreux habitants des communes du Verteillacois, châteaux viticoles ou petits propriétaires.
La viticulture employait une main-d’oeuvre abondante. Après le phylloxéra, l’exode rural, d’abord lent, s’accentua à l’extrême à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, car des villes comme Périgueux, Angoulême, voire même des villes plus lointaines comme Bordeaux et Paris, s’industrialisaient, devenant ainsi des centres d’appel de main-d’oeuvre.
De plus, la Première Guerre Mondiale, par l’hécatombe humaine qu’elle entraîna dans les campagnes et par l’absence d’entretien de la vigne pendant les quatre ans de conflit, eut pour conséquence la ruine définitive du vignoble de Rossignol.
Les terrains étaient réputés trop pauvres pour produire autre chose que de la vigne. Ce préjugé empêcha longtemps d’en tirer profit. Les anciens vignobles se transformèrent en friches recouvertes de petites pierres grises et parsemés de chênes truffiers. Ces vastes étendues, se couvrant de tristes genévriers, se peuplèrent de gibier de qualité : lièvres, perdreaux et donnèrent d’assez maigres pâturages pour les moutons qui y broutaient une herbe rare mais savoureuse.
Fort heureusement l’apparition de la charrue Brabant à deux socles facilita le défrichement, fit disparaître les genévriers mais aussi les troupeaux de moutons et la culture des céréales se développa beaucoup dans les années qui suivirent la guerre de 1914-1918. Bien que la vigne ait connu une légère reprise après la première Guerre mondiale, les exploitants tenant à avoir leur « provision » de vin, le lent déclin du vignoble s’est poursuivi.
En 1935, il est interdit de cultiver les cépages « Noa » et « Othello » pour des raisons sanitaires (taux de méthanol important). Ces cépages avaient eu un succès certain car, après la crise du phylloxéra, ces hybrides producteurs directs étaient très productifs et faciles à cultiver.
En 1940, la mise en place de la ligne de démarcation après l’armistice, fait de ce qui reste du
vignoble de Rossignol, une victime collatérale de la guerre. En effet, la commune est partagée entre la zone libre et la zone occupée, interdisant pendant deux ans et demi aux exploitants de se déplacer pour travailler leurs vignes.
Après la guerre, les fortes gelées des années 50, les primes à l’arrachage ont eu raison du peu de superficie encore planté en vigne. Enfin, l’ultime coup de grâce a été donné en 1963-64 par le remembrement effectué dans la commune de Goûts-Rossignol pour la première fois dans le département de la Dordogne.

Le dernier rappel de la renommée de cet ancien vignoble du Périgord s’est fait lors de la Félibrée de Verteillac en juillet 1970 avec l’assiette souvenir éditée à l’occasion de cette manifestation dans laquelle est écrit, en occitan, le court poème suivant :

Em lo froment de Verteillac
Pan de sopa qu’avem balhiat
Em lo bon vin de Rossinhou
Sira flatos vostre chabrou

En ce début de XXIe siècle, la superficie totale plantée en vigne sur la commune de Goûts- Rossignol est de 4,5 hectares (739 hectares en 1825 – 109 hectares en 1913). Seuls quelques lambeaux subsistent, cultivés avec amour et persévérance par une poignée de nostalgiques.

SOURCES BIBLIOGRAPHIQUES

  • Histoire de la vigne et du vin en France des origines au XIXe siècle, Roger Dion, Paris
    1959.
  • Vin, vignes et vignerons, Histoire du vignoble français – Marcel Lachiver – Fayard 1988.
  • Le vin de l’Italie romaine – André Tchernia. Ecole française de Rome.
  • L’Economie de la Dordogne – Tome premier – Evolution des structures agricoles dans le
    canton de Verteillac par Michel Chadefond – Editions Bière – Bordeaux 1965.
  • Monographie de l’arrondissement de Ribérac
  • Annales de la Société d’Agriculture, Sciences et Arts de la Dordogne, Journal de la
    Ferme et des Comices du Département – 1871
  • Annales agricoles et littéraires de la Dordogne de 1840 à 1881.
  • Archives départementales de la Dordogne.
  • Archives départementales de la Charente.
  • Bulletins de la Société Historique et Archéologique du Périgord.
  • Guide Féret – Bergerac et ses vins et les principaux crus de la Dordogne (1903).
  • La revue Lou Bournat 1903
  • Archives du Château de Jaurias.
  • Archives du Château de la Meyfrénie.
  • Archives Famille Vergnaud.
  • Goûts-Rossignol par Marcel Vergnaud – 1971.
  • Les Prieurés de Fontaine par Michel Vergnaud – 2010.

Je tiens à remercier tout particulièrement Bernard et Pierre-Louis Ducorps, Alain de Bonneville, Alain de la Ville, Emmanuel Duchazaud, Jean-Pierre Bétoin, Jean-Pierre Rudeaux, Francis Gérard, François Giroux et mon regretté ami Jacques Faurel pour l’aide précieuse qu’ils m’ont apportée dans l’élaboration de cet opuscule.

Image de couverture: château de la Meyfrenie, Verteillac